Entre deux armées de bouleaux, au loin, s’ouvre une bouche de vide

où le succès se dessine comme on creuse une tombe :

en remuant la terre, en trouant le bruit du monde.

En jetant ses dernières forces dans l’ironie qui veut qu’on cloue son propre cercueil

dans lequel on enterre avec soi et sa gloire et sa chute, sa maculante fange.

C’est l’essence d’une Tranchée et le sort du Cyclisme

que Jean Stablinsky éprouvait chaque matin.

 

Dans le goulot des mines de Saint-Amand-de-Raismes ou dans celui de la Drève des boules d’Hérin, il partait « au charbon ».

Jour après jour, la terre l’ensevelissait. Son corps devenait noir.

En 1968, sous les pavés, la boue

se soulevait impétueusement dans le bruit des boyaux qui éclatent sans prévenir. Comme un coup de grisou fend l’air chaud des ténèbres.

 

Du Nord, on ne connaît que l’enfer.

Corps et âme jetés dans la Tranchée d’Arenberg, le coureur fait l’épreuve de la guerre.

Les secousses des pavés impriment dans leur cadence le souvenir des bombes. Le méthane amène aux joues de Stablinsky les pleurs mutinés des Poilus. Les Aquilons et la Grande Bise de Valenciennes s’abattent sur sa casquette où perlent leurs cauchemars. Dans la Tranchée, soit on s’échappe, la sueur dans la terre, soit on s’écroule, victime d’un éboulement.

 

Les soldats, arbres blancs, silencieusement se font face.

Une Trève dans la Drève,

dont profiteront, au Printemps, les évadés du Front, les déserteurs charbonneurs, les revêches de la houille, qui sortent du peloton comme on lance un obus.

Une victoire improbable fera brûler le ciel d’avril au-dessus de Roubaix. Les mineurs chanteront le mot Paix. Les coureurs la feront après s’être relevés de leurs genoux blessés. Les rayons d’un soleil trop rare caresseront ceux des roues cabossées oubliées sur la route encore froide du Hainaut revanchard. Et puis les mains calleuses d’avoir creusé, tiré, pioché, applaudiront en coeur les grands coups de pédale extirpés de la tourbe où s’enlise le Nord, où s’enfonce la guerre, où s’effrite les mines, où sévit le vélo.

 

Mots : Thomas VANDORMAEL

Images : Geoffrey MEULI